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Dépoussiérage des archives Apollo

26/04/2020

En photographie, une prise de vue unique ne permet pas nécessairement d’obtenir le niveau de détail souhaité, en particulier pour des sujets lointains et peu lumineux. On se heurte rapidement aux limites de la surface photosensible (grain pour les pellicules, bruit(s) numérique(s) pour les capteurs CCD ou CMOS). Pour des sujets vraiment éloignés, comme des corps célestes observés depuis notre bonne vieille planète, les turbulences atmosphériques viennent ajouter un phénomène de scintillation. Le trajet des rayons lumineux est affecté par l’indice de réfraction changeant des différentes masses d’air traversées, faisant varier la luminosité apparente des astres (l’équivalent galactique des ondulations observées au-dessus des flammes d’un barbecue). Augmenter le temps de pose tend à amplifier ces effets.

Une façon de s'en affranchir est de combiner de multiples poses plus courtes (on parle d'image stacking). En superposant suffisamment de prises de vues rapprochées, le bruit, aléatoire, va être lissé au profit du signal, plus ou moins constant. En fait d'empilement, les valeurs associés à chacun des pixels des images sources vont se voir appliquer des opérations mathématiques: somme, moyenne et autres joyeusetés moins intuitives. Les images ainsi obtenues révèlent un luxe de détails.

Ces mêmes techniques peuvent être employées pour améliorer des images d'objets situés à des distances bien moindres. Par exemple, et pour rester dans le thème, des photos d'un vaisseau spatial, prises depuis l'intérieur d'un autre vaisseau spatial ! Le britannique Andy Saunders, promoteur immobilier dans le civil, s'est fait une spécialité de fouiller et exploiter les archives du programme Apollo, régulièrement dépoussiérées par la NASA. Voici un exemple frappant de son travail, sur des images du module de service de la mission Apollo 13, endommagé après la funeste explosion d’un de ses réservoirs d’oxygène:

L’image de gauche est celle traditionnellement utilisée pour illustrer les dégâts. Il s’agit de l’agrandissement d’un négatif noir et blanc 70mm, sur lequel le module n’occupe qu’une toute petite partie, et de format carré (Instagram n’a décidément rien inventé). La photo du milieu est un composite obtenu par les méthodes mentionnées précédemment, assemblant 8 images tirées d’un film 16mm couleur quelque peu tremblant. Enfin, l’image de droite provient d’un récent scan en très haute résolution d’un négatif 70mm couleur. Le nouveau scan est diaboliquement détaillé, avec un fichier brut monstre de 1,3 Go (à comparer avec la dizaine de Mo des versions disponibles jusque là).

Saunders ne s’est pas contenté de retoucher ces images, il a également revisité les enquêtes sur l’accident lancées en 1970. Son analyse pointe précisément les éléments du module de service endommagés (dont la tuyère du moteur, montrant un gros impact, et pas seulement des traces de brûlure d’isolant comme conclu initialement) et ceux restés intacts (comme le réservoir d’hydrogène).

L’image dont il est le plus fier provient d'une autre mission. Elle a fait la une du Daily Telegraph l’été dernier pour les 50 ans d’Apollo 11, et montre Neil Armstrong foulant le sol lunaire, sa visière pare-soleil relevée.

Cette photo combine 3 images d’un film 16mm tourné depuis le LEM par Buzz Aldrin, qui n’avait pas encore mis le pied dehors à ce moment-là. Grand timide, Armstrong s’était fermement agrippé aux appareils Hasselblad fournis pour la mission, et la plupart des photos où apparaissent un astronaute montrent donc Aldrin. Saunders explique avoir eu l'impression de se tenir derrière la caméra une fois son assemblage terminé, et son émotion l'a encouragé à poursuivre ses recherches d'archives à magnifier.

Il n'existe pas de portrait de Michael Collins sur la lune, en prise unique ou par assemblage. Lui orbitait dans le module de commande pendant que ses deux compagnons gambadaient à la surface, goûtant une isolation toute particulière lorsqu'il survolait la face cachée du satellite. Il était alors coupé de ses collègues présents sur la face éclairée, et... du reste de l'humanité. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'expérience fut pour lui des plus stimulantes, renforçant la perception de son rôle comme essentiel dans la mission. Et il avait du café chaud.

Déniché sur ArsTechnica. Pour la route, une interview marrante du souvent grand oublié d'Apollo 11, Mike Collins.